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    «Docteur» en Afrique: entre prestige social et illusion de grandeur

    Dans de nombreux pays africains francophones, il suffit d’assister à une conférence, une cérémonie officielle ou une émission télévisée pour le constater: le titre de «Docteur» y est exhibé avec une fierté presque ostentatoire. Qu’il s’agisse de juristes, de philosophes, d’économistes ou de mathématiciens, chacun veille à ce que le «Dr» précède soigneusement son nom, comme une médaille épinglée à la poitrine. Ce phénomène contraste fortement avec les pratiques observées dans la plupart des sociétés occidentales où l’usage de ce titre reste limité et souvent réservé au corps médical.

    Pourquoi une telle différence? Est-ce une simple question d’ego? Pas seulement. Elle révèle une histoire coloniale, une culture du prestige social et un rapport particulier au savoir profondément ancré dans nos sociétés.

    Héritage colonial et symbolisme du savoir

    L’Afrique postcoloniale s’est construite dans un contexte où les détenteurs de diplômes universitaires étaient rares et puissants. L’université représentait alors une porte étroite vers l’élite. Celui qui atteignait le sommet du cursus académique devenait automatiquement une figure d’autorité intellectuelle et sociale. Le titre de «Docteur» n’était pas qu’un simple diplôme. Il consacrait une ascension dans une société hiérarchisée où la reconnaissance passait par des symboles visibles.

    Cette tradition a survécu aux indépendances. Alors que les sociétés occidentales ont progressivement banalisé les diplômes supérieurs, l’Afrique a continué de les sacraliser. Ce n’est donc pas surprenant que le titulaire d’un doctorat en sociologie ou en droit ressente le besoin de s’affirmer comme « Dr Untel » dans toutes les sphères de sa vie.

    « Le titre est devenu une médaille sociale, un insigne de légitimité », confie un enseignant-chercheur togolais.

    Dans de nombreux pays occidentaux, l’usage courant du titre de docteur est associé aux médecins praticiens, ceux qui soignent les corps. Les docteurs universitaires (PhD), eux, n’emploient généralement ce titre que dans le cadre académique ou institutionnel. En Afrique, cette distinction est largement ignorée. Le «Dr» n’est pas une fonction, mais une marque de respectabilité. Il peut même, parfois, susciter une forme d’intimidation symbolique. Il impose le silence, légitime la parole, commande l’attention.

    Il serait injuste de réduire cette pratique à une simple vanité individuelle. Dans un contexte où les intellectuels doivent constamment lutter pour faire reconnaître leur valeur, le titre devient un outil de légitimation. Mais à l’inverse, certains en font un instrument de pouvoir, voire de supériorité sociale. Le savoir, au lieu d’être partagé avec humilité, est parfois brandi comme une arme d’exclusion.

    Cette théâtralisation du titre est d’autant plus problématique qu’elle détourne l’attention de l’essentiel. Ce n’est pas le titre qui fait l’intellectuel, mais la qualité de sa pensée, de son engagement et de sa contribution à la société.

    Avec l’ouverture internationale, la généralisation de l’enseignement supérieur et la mobilité des élites, cette pratique commence à s’éroder lentement. Les nouvelles générations de chercheurs et d’universitaires africains, formés dans des universités où l’humilité intellectuelle est valorisée, affichent moins leurs titres et préfèrent faire parler leurs travaux plutôt que leurs cartes de visite.

    Le vrai prestige, au XXIᵉ siècle, ne réside plus dans un «Dr» accroché devant un nom, mais dans l’impact réel de la pensée sur le monde.

    Le titre de «Docteur» en Afrique n’est pas seulement un signe d’orgueil personnel. C’est le miroir d’une société où le savoir a longtemps été une monnaie rare et un levier de pouvoir. Mais à l’heure où les diplômes se démocratisent, il est temps de réhabiliter la substance au-dessus de l’apparence. Un titre ne vaut que par ce qu’il inspire et construit. Et la grandeur d’un intellectuel ne se mesure pas au nombre de lettres qui précèdent son nom, mais à la portée de ses idées.

    Eric Georges Anani Lawson

    7 Commentaires

    1. @Philosophe. Eh oui. Hélas, elles (filles) ne s’attachent pas à la personne pour ses études en soi, mais plutôt à ce que son titre représente en terme de sécurité et de valeur sociale.

    2. Cette valorisation n’est pas née spontanément. Elle vient d’une culture sociale héritée. Dans les sociétés africaines postcoloniales, l’homme instruit a longtemps été un modèle d’ascension sociale. Le « Docteur » symbolise la réussite de l’école moderne, qui ouvrait les portes de la fonction publique, des positions de pouvoir et d’une meilleure qualité de vie.
      Beaucoup de familles ont inculqué cette idée à leurs filles: « épouse un homme instruit, stable, respecté ».
      Ainsi, le titre devient une garantie symbolique, même si, dans les faits, cela ne dit rien de la qualité humaine ou affective de la personne.

    3. Plusieurs sont des « Docteur » de façade avec des compétences nulles, voire médiocres. Dans bien des cas, ces « élites » sont plus titrées que compétentes: diplômes obtenus dans des conditions douteuses, publications quasi inexistantes ou plagiées, aucune véritable contribution scientifique ou intellectuelle, titre utilisé pour se prostituer avec les dictatures.
      Résultat: une élite factice gonflée par le prestige académique mais vide de substance intellectuelle réelle.

    4. Dans des régimes autoritaires, le pouvoir adore s’entourer de figures “légitimes” pour donner une façade de respectabilité à ses actions. Les despotes utilisent des « docteurs » comme caution morale pour des politiques injustes.

    5. Certains intellectuels se prostituent au pouvoir, non pas par conviction, mais par intérêt matériel ou ambition personnelle. Cela contribue à fragiliser la crédibilité du monde académique, corrompre le débat public, trahir le peuple que ces intellectuels devraient éclairer.

      C’est vraiment malheureux et triste.

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