Entre chantage moral, relations intimes et promotions arbitraires, un phénomène inquiétant s’installe au cœur de l’État togolais. Derrière la façade officielle du mérite et de la compétence, se joue une réalité moins avouable. C’est celle du favoritisme sexuel comme instrument de pouvoir et de contrôle.
Dans les couloirs feutrés des ministères, des sociétés publiques et même des institutions politiques, les murmures se font insistants. Certaines promotions et nominations seraient obtenues non par compétence, mais à travers des relations intimes avec des décideurs influents.
Le phénomène, surnommé ironiquement « le jeu de sexes » par des fonctionnaires désabusés, est devenu un mécanisme officieux d’ascension dans certaines sphères du pouvoir.
«On ne parle plus de mérite ou d’expérience, mais de qui est « proche » de qui», confie une employée d’un ministère économique, sous anonymat. Ce système pervers n’épargne aucun milieu. Il touche aussi bien les jeunes diplômées en quête d’emploi que les cadres intermédiaires cherchant à gravir les échelons. Dans plusieurs cas, le chantage sexuel s’impose comme condition implicite pour accéder à un poste ou pour bénéficier d’un maintien de fonction.
Certaines femmes, sous pression cèdent pour éviter les représailles ou pour assurer leur stabilité professionnelle. D’autres, par opportunisme, y voient une voie rapide pour progresser dans une administration verrouillée. «On m’a clairement fait comprendre que mon avenir dépendait d’une « relation » avec mon supérieur », témoigne une cadre du secteur public.
Des observateurs estiment que ce favoritisme sexuel s’inscrit dans une logique plus large de contrôle politique et moral. En liant promotions et loyautés intimes, certains décideurs s’assurent de la fidélité de leur entourage administratif. Ce mélange de sexe et de pouvoir crée un réseau informel de dépendances où les carrières se font et se défont selon les « relations privilégiées » plutôt que selon la compétence.
«C’est une forme de clientélisme émotionnel et corporel, une corruption d’un autre genre», analyse un sociologue de l’Université de Lomé.
Le combat reste difficile dans un environnement où les lignes de pouvoir et d’intérêts sont étroitement imbriquées. Pourtant, sans une refonte éthique profonde, le risque est grand de voir l’administration togolaise s’enfoncer dans la décadence morale et la perte totale de crédibilité. Quand des employées de l’administration subissent des abus sexuels pour accéder à des postes ou à des avantages
Dans plusieurs administrations publiques togolaises, des femmes témoignent, souvent à voix basse, d’un système d’abus de pouvoir où le sexe devient une condition implicite pour l’obtention d’un poste, d’une promotion ou d’un simple maintien en fonction. Ce que certaines décrivent comme une “forme d’esclavage sexuel moderne” met en lumière une réalité taboue, au croisement du pouvoir, du silence et de la peur.
Sous couvert d’anonymat, plusieurs agentes de la fonction publique togolaise confient avoir été victimes ou témoins de sollicitations à caractère sexuel venant de supérieurs hiérarchiques. Les récits convergent. Promesses d’avancement, menaces de mutation ou de suspension et chantage moral.
«On m’a fait comprendre que si je refusais les avances, mon dossier de titularisation resterait bloqué», raconte une jeune fonctionnaire d’un ministère à Lomé.
«C’est un secret que tout le monde connaît, mais personne n’ose dénoncer. Celles qui parlent perdent leur emploi », confie une autre, mutée brusquement après avoir repoussé les avances de son chef. Selon plusieurs organisations locales de défense des droits des femmes, le harcèlement et l’exploitation sexuelle dans l’administration togolaise sont largement sous-déclarés. La peur des représailles, l’absence de procédures de plainte sécurisées et la culture du silence freinent toute tentative de dénonciation.
«Ces femmes ne sont pas seulement victimes d’abus, elles sont prisonnières d’un système où leur carrière dépend du bon vouloir d’hommes puissants», explique une militante d’ONG de femmes.
Dans certains cas, ces pratiques deviennent un mécanisme d’influence, transformant les relations de travail en un terrain d’asservissement moral et corporel. Interrogés sur ces accusations, plusieurs hauts fonctionnaires reconnaissent que des “comportements inappropriés” peuvent exister, mais préfèrent parler de “cas isolés”. Officiellement, aucune enquête d’envergure n’a encore été ouverte.
«Tant qu’il n’y a pas de plainte formelle, il est difficile d’agir», a déclaré un responsable du ministère de la Fonction publique, contacté par téléphone.
Pourtant, les faits semblent bien enracinés et têtus. Certaines administrations font l’objet de rumeurs persistantes concernant des “réseaux d’influence” où promotions, nominations et avantages matériels se négocient sur fond de compromissions sexuelles.
Le cadre juridique togolais punit le harcèlement sexuel (article 404 du Code pénal), mais dans la pratique, les plaintes sont rares et n’aboutissent jamais.
Les victimes se heurtent à la fois à la peur du scandale, au manque de soutien institutionnel et à la lenteur judiciaire.
«Même quand les preuves existent, les dossiers sont étouffés par des interventions politiques», affirme un avocat.
Les conséquences de ces abus dépassent le cadre professionnel. Plusieurs victimes disent avoir quitté leur emploi, souffert de dépression ou perdu toute confiance en la justice.
Loin d’être de simples “affaires de mœurs”, ces pratiques fragilisent la fonction publique et perpétuent une culture de l’impunité.
«Nous parlons d’un esclavage sexuel administratif: des femmes contraintes d’obéir pour survivre professionnellement», résume une enseignante-chercheuse d’études sociales et politiques à l’université de Lomé. Les abus sexuels dans l’administration togolaise ne relèvent pas seulement d’un scandale moral, mais d’un problème structurel de gouvernance et de justice.
Tant que le silence l’emportera sur la justice, le Togo restera prisonnier d’un système où le corps des femmes continue de servir de passeport pour l’ambition.
Solange Kolani


