Bienvenue au Togo, ce petit carré sur la carte d’Afrique où les routes mènent toutes à la combine.
Ici le génie national, c’est l’art de transformer un poste public en guichet personnel, un mandat en héritage et la morale en décoration de façade. C’est un pays où le mot intégrité se prononce avec prudence, comme un juron qu’on évite devant les enfants.
À Lomé, capitale et plaque tournante de tous les trafics d’influence, de devises et de conscience. Chacun a sa spécialité. Le policier qui accuse faussement l’automobiliste d’avoir brulé le feu rouge pour lui soutirer un billet de banque, le ministre qui détourne les fonds de son ministère, le chef de bureau qui fait de la paperasse un business model avec les clients. Le citoyen moyen, lui, a compris la règle du jeu: « si tu ne graisses pas, tu bloques ». Résultat, tout roule mais jamais gratuitement.
Ici, la corruption n’est pas un crime, c’est un rite d’initiation. On ne demande pas « que fais-tu dans la vie? », mais « tu connais qui? ». Et les diplômes? Ils servent à encadrer la photo du parrain.
Au fond, le Togo est une entreprise familiale avec les Gnassingbé comme PDG éternels et leur clan comme actionnaire politique. La corruption n’est pas un accident du système. C’est le système. Et si tu protestes trop fort, on t’explique que tu n’aimes pas ton pays en t’arrêtant, en te torturant et en t’emprisonnant avec la complicité d’un procureur, qui n’est autre qu’un garçon de courses juridiques d’un régime répressif.
Mais ce qui est curieux, c’est que certains individus dénoncent la corruption jusqu’à ce qu’ils aient leur part. C’est une pièce bien réglée. Chacun joue sa scène d’indignation puis retourne discrètement au guichet des faveurs. Le citoyen peste contre le fonctionnaire corrompu mais glisse un billet pour accélérer son dossier. Le fonctionnaire maudit les ministres, mais rêve d’en devenir un comme eux. Et le ministre, lui, remercie Dieu d’être tombé du bon côté de la combine. Le peuple n’est pas dupe. Il grince les dents, râle fort mais s’adapte. Il a compris que dans le carré magique de la corruption, l’honnêteté est une maladie professionnelle. Celui qui refuse le système devient suspect, celui qui le maîtrise devient respectable. Tout le monde navigue entre indignation et opportunisme avec un moral de contorsionniste.
Lomé vit au rythme des apparences. Les bars débordent de morale patriotique à 22 heures et de transactions discrètes à minuit. Les pasteurs prêchent la probité avec des montres en or, les ONG tiennent des séminaires sur la transparence financés par des enveloppes opaques et les influenceurs dénoncent la misère depuis les salons climatisés des corrompus.
Le Togo, c’est un pays où tout le monde veut le changement et où tout le monde est complice directement ou indirectement. On attend le messie politique comme on attend la pluie en se plaignant de la sécheresse, tout en vendant l’eau au marché noir.
Tito Agbémagnan


